Lors des différentes exercices, beaucoup insisteront, selon leur niveau de pratique, sur le Kimé, sur la recherche d’une détermination absolue.
Qui dit détermination absolue dit Esprit vide de toute tendance souhaitant aller à l’encontre du mouvement requis. L’esprit vide est appelé en karaté-do Mushin no shin, Qu’on pourrait traduire en Esprit vide de mental.
Dans l’attitude parfaite, L’Esprit n’est recouvert que de détermination pure à faire le mouvement requis. Sans aucune tendance parasite.
Ces tendances « parasites » sont pourtant nombreuses, et plus ou moins subtiles, allant du « j’ai faim et j’ai des courbatures à la jambe, je ne vais donc pas trop me donner » à des tendances beaucoup plus complexes à éradiquer, comme la peur de mal faire, d’être jugé, de ne pas être à la hauteur. Encore plus subtil : la recherche de la force au détriment de la technique et de la rapidité est une erreur commune, car le mouvement juste peut être fort dans certain cas, mais des fois le mouvement juste est simplement une légère déviation sans aucune « force » physique. Ici le budoka est confronté à ses propres imaginations de ce que devrait être le mouvement juste, il mentalise ce que devrait être selon lui le mouvement juste, et passe à côté de son intuition profonde, de son Hara, de l’intelligence de son Esprit, qui est alors recouvert par les nuages de son mental, et de son intellect.
Il est en quelque sorte coupé de lui même, de sa profondeur, c’est un comble pour ceux qui manient le sabre et qui cherchent à couper leurs adversaires. Ils sont déjà coupés eux même.
Tout cela est assez subtil, pourtant certains budokas développent réellement une capacité à faire taire le mental lors de la pratique des katas, au moins partiellement, si la pratique est authentique (i.e. un engagement très fort voir total).
C’est là que le processus de mort prend toute son importance, car si le budoka veut arriver à faire le mouvement juste, son mental doit être neutralisé et ne plus décider en lieu et place de l’Esprit.
Au temps de l’apogée des samouraï, les bushis (guerriers) pouvaient être confrontés au processus de la mort à tout instant et en tout lieu. En bataille, le bushi peut mourir ou faire mourir à tout instant, à chaque technique, à chaque mouvement. C’est d’autant plus vrai avec les katanas, la mort peut se manifester en un éclair.
Ainsi le bushi authentique réalise cet aspect, et accepte donc le processus de la mort au moment même ou il choisit la voie du bushido. Ou alors il n’a pas compris la réelle signification de cette voie. Le guerrier authentique accepte le processus de la mort à tout instant, qu’il soit donné ou reçu, il est en quelque sorte mort à lui même.
Ce choix d’acceptation consciente du processus de la mort est très intense, car le mental veut survivre, cela déclenche donc tout un tas de réactions intérieures, dans un premier temps. Si le bushi fait face à ces réactions, c’est à dire qu’il reste simplement présent à lui même sans se laisser emporter par ces réactions, le mental peut finir par se taire, et l’Esprit se manifester en tant que présence parfaite.
Donc en exercice, en particulier lors des katas et des kihons, le karatéka, une fois qu’il est familier avec l’exercice, doit non pas se concentrer sur sa respiration, sur sa force, sur son hara, mais prendre conscience que chacun de ses mouvements est potentiellement la mort elle même. Si le coup est donné, le processus est déclenché sur l’ennemi, si un mouvement est manqué, le processus est reçu. Dans l’absolu, même si le mouvement est réussi au sens de l’exercice, la mort peut être aussi reçue. Bref, le processus de la mort doit être accepté puis contemplé lors des exercices en tant que processus naturel inhérent à chaque mouvements de l’exercice. C’est un exercice très puissant.
Par définition l’acceptation de la mort est la liberté intérieure, car le mental ne s’attache plus à rien, puisque tout est voué à mourir. Ce qui n’empêche pas d’apprécier, tout au contraire. Qui n’a pas fait l’expérience d’un moment particulièrement intense sachant que ce moment était voué à s’arrêter ? L’extase est totale. Parfois le chagrin peut se révéler, mais honnêtement, le chagrin n’est-il pas libérateur ? Lui aussi est voué à mourir.
Si le karatéka prend conscience du processus de la mort à chacun de ses mouvement qui n’en sont que le symbole, l’Esprit peut réellement se révéler en tant que présence parfaite. Sinon il stagne dans une pratique théorique et mentalisée, donc non libre car imaginée par le mental. Dans un combat réel la conséquence peut être « dramatique », car confronté à la mort, le karatéka perd ses moyens s’il n’a pas compris que l’acceptation de ce processus est la pratique authentique.
De nos jours, dans une sécurité parfois illusoire, la société devient lâche, molle, et avide de « vie » car elle est effrayée par le processus de la mort. Elle recherche parfois « l’immortalité », le comble est ici que le processus de la mort lui est immortel et immanent. Le mental lui, est voué à mourir.
Bref, puissiez-vous essayer de prendre conscience que chacun des mouvement martiaux sont le symbole du processus de la mort, qui doit être contemplé en tant que telle. Si cette pratique est effectuée avec cœur, un nouveau vous sera créé. Après tout, toute nouvelle création n’est-elle pas précédée d’une destruction ?