La Capoeira

 

Inventée sans doute au cours du XVIème siècle par les  esclaves africains importés au Brésil et leurs descendants, la capoeira est devenue l’un des sports les plus pratiqués du plus vaste pays d’Amérique Latine. Cependant, elle représente bien plus qu’une simple pratique sportive, de par son histoire, elle est une culture, une philosophie, un véritable art riche et complexe.

Il existe plusieurs versions sur l’origine de la capoeira. En effet, en 1890, deux ans après l’abolition de l’esclavage au Brésil, la plupart des archives concernant l’arrivée des esclaves africains furent brûlés par le ministre Ruy Barbosa, qui croyait ainsi pouvoir effacer « une tâche noire dans l’histoire du pays ». Ainsi, il est très difficile de déterminer l’origine exacte de la capoeira mais la capoeira serait apparue entre le XVIe et le XVIIIe siècle au Brésil (le premier document connu remonte à 1789, à Rio de Janeiro).

La naissance de la capoeira au XVIème siècle

Au XVIème siècle, l’esclavage est en plein essor au Brésil et la condition d’esclave est particulièrement difficile. Les esclaves africains sont traités comme du bétail : choisis par la qualité de leurs dents et pour leur force physique, ils sont forcés à travailler sans repos, souffrent des coups de bâtons et dorment dans les senzalas. Si leur force physique est critère de choix pour leur maître, leur force mentale n’est pas moins négligeable. En effet, jamais ils n’acceptèrent la captivité ni le fait d’être vendus et achetés comme de simples marchandises. A toutes les époques, ils ont cherché à reconquérir leur liberté. Cependant, ils ne pouvaient obtenir aucune des armes de l’époque ; ils ont donc, à partir de leurs traditions, développé un art de défense utilisant uniquement les ressources du corps.

Les maîtres et les surveillants ne se rendaient pas compte du danger que représentait cette danse, et n’imaginaient pas qu’elle cachait toute la révolte et le désespoir des esclaves. La capoeira est sans doute née ainsi ; en tapant des mains, en chantant des chansons aux paroles allusives, en dansant. Elle maintenait des perspectives de fuite, de révolte, de liberté ainsi que de dignité pour les Nègres du Brésil.

Certains esclaves réussirent à prendre la fuite, se regroupèrent et constituèrent des quilombos, véritables villages organisés, voire des forteresses, dissimulés en pleine forêt afin de résister aux troupes coloniales.

Parmi les plus connus, le Quilombo dos Palmarès a tenu tête aux armées portuguaises et néerlandaises pendant prêt de 100 ans en particulier sous le règne du Roi Zumbi. Celui-ci, après avoir refusé d’être affranchi avec les autres quilombolas de Palmarès tant que d’autres frères noirs étaient encore esclaves dans le pays, devint une figure mythique de la révolte des Noirs contre l’esclavage. Il est aujourd’hui considéré comme le leader spirituel de la lutte des noirs contre l’oppression et l’esclavagisme et est considéré comme un héros.

La capoeira, une arme redoutable et redoutée.

Alors que le XIXème siècle voit l’abolition de l’esclavage prendre forme progressivement, la capoeira est utilisée stratégiquement par le gouvernement brésilien. Ainsi, lors de la guerre sanglante du Paraguay entre 1865 et 1870, l’armée du Brésil utilise bon nombre de capoeiristes comme soldats guerriers. De même, en 1890 (année de l’abolition définitive de l’esclavage), les capoeiristes sont également exploités par le pouvoir monarchique qui utilise leur efficacité au sein d’une Garde Nègre au service de la couronne contre les républicains. On envoie les capoeiristes semer le trouble dans les réunions politiques de ses opposants.

Mais si le gouvernement brésilien peut trouver un intérêt particulier à la capoeira, il ne participe pas à véhiculer une image positive de cet art. Ainsi, le nouveau contexte des concentrations urbaines naissantes voit apparaître le métis ainsi que les bandes de malandros (hors-la-loi) écumant les rues et réglant leurs différents parfois avec des techniques de capoeira dans des rixes à l’arme blanche. A cette époque tous les malandros ne sont pas capoeiristes, mais tous les capoeiristes sont des malandros. La capoeira prend donc alors une image très négative.

De même, après l’abolition de l’esclavage, des milliers de gens se retrouvent libres, livrés à eux-mêmes, sans logement, sans nourriture, sans travail et donc sans argent, dans la misère et la pauvreté. Pour survivre, des milices criminelles appelées « maltas », composées de capoeiristes, vont se former et répandre la violence. Ils pillent et agressent les plus riches. C’est à cette période que surgissent des figures légendaires, les « jogadores » terribles, lutteurs très dangereux comme Besouro Manganga, Nascimento Grande ou encore Manduca da Praia, chantés encore aujourd’hui dans les rondes de capoeira. C’est à cette époque aussi que les capoeiristes vont se donner des surnoms afin de ne pas être pris par la police. Les surnoms étant déjà beaucoup utilisés dans la culture brésilienne en général, cette tradition est restée chez les capoeiristes jusqu’aujourd’hui. Le capoeiriste novice obtient souvent lors de ses premières années un apelido qui l’identifiera au sein des autres pratiquants. (Ex : Faisca est un surnom que Dara a reçu lors de sa première année de capoeira et tout le monde à la capoeira l’appelle désormais ainsi).

La réputation de la capoeira devint si mauvaise qu’elle fut interdite par un décret-loi de1890 qui en interdira la pratique jusqu’en 1937. Pourchassés par la police, les capoeiristes hors-la-loi risquent plus de 300 coups de fouets, la section des tendons, la prison, la mort ou l’exil.

Mestre Bimba et la Capoeira Regionale

Après la période des révolutions des années 1930, le Brésil connaît un gouvernement (celui de Getulio Vargas) plus ouvert à l’égard des traditions populaires. A l’époque, un Maître de Capoeira, Mestre Bimba (Manoel Dos Reis Machado), demanda et obtint l’autorisation d’ouvrir à Salvador la première Académie de Capoeira sous le nom de l’Associação de Luta Régional Bahiana. Mestre Bimba créa là un style particulier, plus objectif et rajoutant des mouvements issus d’arts martiaux étrangers : jiu-jitsu, judo, savate, ainsi que des techniques issues du batuque, lutte pratiquée par les marins au port de Salvador, aujourd’hui disparue dont le but était de déséquilibrer son adversaire et dont sont père était champion. Il voulait ainsi montrer que la capoeira pouvait être une forme de combat efficace. A ce titre il défiera tous les meilleurs champions des autres arts martiaux de sa région de l’époque. Après être monté sur le ring a plusieurs reprises et en remportant toutes ses confrontations, il donna à la capoeira une vraie légitimité en tant que discipline de combat. Le style issu de l’enseignement de Mestre Bimba est de nos jours connu sous le nom de Capoeira Regional.

 

Il sera également le premier à enseigner la capoeira avec une véritable méthodologie. En effet la capoeira jusqu’alors s’apprenait beaucoup directement dans les rondes et de manière instinctive.

C’est en 1937, après une démonstration devant le président Getúlio Dorneles Vargas, que Bimba voit enfin son école et la pratique de la capoeira reconnues légalement et que par la même occasion la capoeira devient légale (ici le voici serrant la main du président Vargas).

 

Mestre Pastinha et la Capoeira Angola

Vicente Ferreira Pastinha ouvrit son académie peu de temps après Maître Bimba justement  en réaction  au travail de Bimba à l’époque, cherchant à maintenir les valeurs de dissimulation, de ruse et de tradition de ce qu’était la capoeira avant Bimba. Son mouvement cherchant à puiser ses enseignements dans les origines et de la tradition s’appelle la Capoeira Angola. Pastinha ne fut pas le seul maître à la pratiquer et n’est pas son créateur, mais c’est sans doute son travail qui a permis à la Capoeira Angola de revivre à une époque ou elle commençait à être oubliée. Il est aujourd’hui reconnu comme ayant été le plus grand maître de capoeira angola.