Le règlement de Dublin est-il une politique humanitaire ?
Mardi 24 avril, cinq migrants ont été expulsés de Poitiers, embarqués dans un avion et envoyés à Bologne en Italie. Cette expulsion a été réalisée en conformité avec la Convention de Dublin (Règlement UE n. 604/2013) qui détermine que la compétence pour l’examen de la demande d’asile des migrants dans l’Union Européenne est détenue par le premier Etat où le migrant arrive et où, donc, il laisse ses empreintes digitales. Cela signifie qu’un pays européen peut et doit renvoyer les migrants vers le pays par lequel ils sont entrés en Europe.
Ce règlement a deux objectifs principaux. D’une part, il vise à décourager l’asylum shopping, c’est-à-dire le dépôt de demandes d’asile dans plusieurs Etats européens voire le “choix” d’un pays en particulier au cours du parcours migratoire. D’autre part, il cherche à réduire les déplacements de migrants entre les Etats, qui contribuent à la création de fortes tensions aux frontières. En témoignent l’intervention du groupe d’extrême droite Générations identitaires à la frontière franco-italienne, ou celle, très discutée, des forces de police françaises qui ont arrêté une femme migrante à Ventimiglia. Cela accroît aussi les inégalités en matière d’accès au droit d’asile, car les migrants qui sont ramenés dans le premier pays d’arrivée en Union Européenne ont beaucoup moins de chances d’obtenir l’asile.
A Poitiers, le 24 avril dernier, suite à l’application de la Convention de Dublin, cinq migrants ont été donc renvoyés en Italie après avoir été assignés à résidence dans le département de la Vienne. Au sein de Passaro, nous avons eu la possibilité de rencontrer certains de ces migrants dans le cadre des cours de FLE (Français Langue Etrangère) et des projets artistiques et sportifs. Le problème majeur est que les “sans-papiers” peuvent être renvoyés dans le pays d’arrivée dans l’U.E d’un jour à l’autre. Leur quotidien est dominé par l’incertitude quant à leur futur : la plupart de ces pays renvoient sans préavis, de manière extrêmement violente et y compris vers des pays où la situation humanitaire est catastrophique (Afghanistan, Soudan).
Les migrants renvoyés arrivent dans un pays dont ils ne connaissent pas la langue ni la culture, sans aucun moyen matériel de survie et sans possibilité d’accéder à l’emploi, à cause des barrières linguistiques. De surcroît, la plupart du temps, les centres d’accueils des pays qui reçoivent en premier les migrants (Italie, Grèce, Espagne ou Allemagne) sont complètement saturés et l’accueil est souvent effectué dans des conditions indignes. De plus, la majorité des migrants renvoyés essaieront de revenir dans les pays d’où ils ont été chassés pour pouvoir avoir une possibilité minime d’obtenir un travail et conduire une vie digne.
Ces faits donnent un avant goût de la loi Asile-Immigration récemment votée à l’Assemblée et qui est en première lecture au Sénat. Cette loi accroît encore les mesures de répression prises à l’égard des migrants. La plupart des délais de dépôt de demande d’asile, d’examen et de recours en cas de refus sont réduits. La mesure la plus contestée est le doublement de la durée maximale de séjour en centre de rétention administrative : de 45 jours à 3 mois ! Alors que le centre de rétention devait être une alternative à l’assignation à résidence, les autorités y recourent désormais quasi systématiquement pour éviter la fuite des migrants qui vont être expulsés. Ça n’est pas tout : les enfants et les familles pourront désormais être placés en centre de rétention. Ces mesures ont été dénoncées par de nombreuses associations et par le Défenseur des Droits.
Elisa Marsoni et Marianne Kremp