Sans aucun rapport, ce « vau » sans -e, avec l’enfant de la vache. Comme le latin vallis ou valles, dont il provient, le « val » est une forme de paysage : une zone plus basse entre deux plus élevées. « Vers le mont », « à mont » (« amont »), c’est plus haut, avant. « À val » c’est plus loin, après vers le fleuve et, par le fleuve, vers la mer.
« Aval », « en suivant la pente », s’est prononcé « vau » avec un l , quelque chose comme « vaw », écrit « vau » au XVIe siècle. On dit alors « à vau de route » (en « dé-valant la pente »), mais aussi « à vau de vent », « à vau de pays » et « à vau de l’eau ». Seule cette manière de parler a survécu, on ne sait pourquoi. Elle suggérait à la fois la descente, d’où l’échec, et le laisser-aller. Avec le verbe « aller », cette expression fait partie des façons de dire l’échec et la passivité devant les difficultés de la vie.
« Au détriment de quelqu’un ». Ne pas écrire avec un e final. Certains prononcent ce mot comme dame, et d’autres, puristes, le font rimer avec dans et dent. C’est un très vieux mot puisqu’il apparaît dans les Serments de Strabourg, texte fondateur de la langue française, signé en 842 par les héritiers de Charlemagne.
Le mot est issu du latin damnum, qui a le sens de « préjudice matériel ou moral ». L’ancien français avait « être dans le malheur » et la peine du dam correspondait à la damnation, châtiment éternel qui frappe les réprouvés : ceux-là sont condamnés. Dans l’usage courant, le mot dam s’efface dès la Renaissance et ne se maintient guère que dans l’expression au grand dam de quelqu’un. Il a été remplacé par un mot de la même famille, dommage (anglais damage).
Pourtant, si vous vous faites damer le pion, « surpasser », ce qui a de fâcheuses conséquences, ce préjudice est tout différent. Il n’est pas question de damnation, mais, plus légèrement, du jeu d’échecs et du jeu de dames.
Aux dames, le pion, modeste piéton, se transforme en une pièce plus puissante appelée dame. Aux échecs, on peut lui donner les caractéristiques d’une autre pièce, notamment la reine, qui offre des possibilités de déplacement plus nombreuses. On dit qu’il est damé. Le joueur qui détient cette nouvelle pièce prend un net avantage sur l’adversaire.
Terre battue, sentiers battus, battre la campagne...
Le sens premier de battre, c’est « frapper à coups répétés ». Pour sentiers battus, le mot battu signifie « foulé par les pieds des marcheurs ». Quand les pieds ou les sabots battent le sol, la terre est marquée par les piétinements répétés.
La terre battue, avant de revêtir les courts de tennis, constituait le sol des humbles demeures. Pierre-Jakez Hélias évoque dans Le Cheval d’orgueil ces assemblées de voisins, dansant au son des cornemuses et des bombardes, et martelant en cadence la terre argileuse avec leurs sabots de bois pour aplanir le sol de la pièce à vivre ou de l’aire à battre, pour le battage des céréales.
Au figuré, celui qui suit les sentiers battus suit les procédés ordinaires, les moyens connus, les usages établis. Au contraire, sortir des sentiers battus, c’est se démarquer, faire preuve d’audace, d’anticonformisme. Qui choisit de sortir des sentiers battus décide de s’aventurer en terre inconnue : il s’agit de prendre des chemins de traverse ou de frayer sa propre route, quitte à affronter les obstacles et les dangers. Attitude téméraire qui suppose que l’on sache s’orienter autrement qu’en suivant une voie toute tracée !
Quelques petits (!) compléments.
Une battue : « action de battre bois et taillis pour en faire sortir le gibier ».
Battre la campagne : aller çà et là à travers champs. Battre le pays : l’explorer en tous sens pour en découvrir les ressources. Par extension, « divaguer, d’où parler de façon incohérente, déraisonner».
Des yeux battus : « yeux entourés d’un cerne bleuâtre, dû à la fatigue ou au chagrin ».
Battre le fer, opération du forgeron. Fig. il faut battre le fer pendant qu’il est chaud, « saisir l’occasion propice ».
Battre monnaie, « fabriquer de la monnaie ».
Battre la semelle, « attendre en tapant le sol avec ses pieds pour se réchauffer ».
Battre froid à quelqu’un, « le traiter en marquant son antipathie ».
Battre les œufs en neige !
Battre les cartes « les faire glisser prestement les unes sur les autres pour les mêler » (définition typique d’un dictionnaire : beaucoup de mots pour une expression que tout le monde connaît instinctivement. Mais il est obligé, pour les étrangers, par ex.).
Battre la chamade : sens propre : « Sonnerie militaire ou batterie de tambour servant de signal à des assiégés ou à des troupes en difficulté pour annoncer leur intention de capituler ». Sens fig. : battre la chamade, en parlant du cœur, « battre à coups rapides et violents, sous l’effet d’une forte émotion ».
Battre la mesure, domaine musical, « marquer le rythme ».
Battre sa coulpe (cf. Mea culpa) : « se repentir, regretter une erreur ».
Battre en brèche : métaphore militaire : « frapper une muraille à coups de canon pour y ouvrir une brèche ». Au fig. « détruire l’influence ou combattre l’action de quelqu’un ».
Battre son plein : « être au point culminant d’une activité », métaphore maritime à partir de la marée qui atteint son niveau le plus élevé. La fête bat son plein.
C’est en avoir assez, être soûlé, en avoir marre.
Le mot claque venu de claquer, désigne en français des choses bien différentes : coup donné du plat de la main, taloche parentale ou gifle de déception amoureuse ? Ou bien claque des théâtres de jadis (ou meetings d’aujourd’hui ?), formée de spectateurs payés pour assurer par leurs applaudissements le triomphe du spectacle ?
Si le mot claque renvoie effectivement à la gifle (on comprend que l’on puisse vite se lasser de prendre des baffes), il signifie aussi l’abondance et l’excès. Il pouvait avoir un sens très général d’intensité (en avoir sa dose). C’est l’idée de dégoût par l’excès. Se claquer, être claqué, c’est se fatiguer à l’extrême, être à bout de force, sans avoir reçu de coup. On dit aussi claquer son argent, expression qui a plus à voir avec l’idée de profusion qu’avec le bruit des pièces sur le comptoir.
« Être en goguette », c’est d’abord, avant toute frasque, être de sortie, avec cette idée que l’escapade en question est un moment des plus agréables. « Goguette » vient de l’ancien français « gogue » qui signifiait « plaisanterie, raillerie » ou « réjouissance, bonne humeur ». On parlait aussi de « goguer », « railler, plaisanter ». Certains évoquent un radical gog exprimant la joie que l’on retrouverait dans « à gogo » (abondamment) et dans goguenard.
« Goguette » est associé à la notion de plaisir. Au XVe siècle, « faire goguettes » c’était se régaler, faire ripailles et « être à goguette » en être aux caresses avec une femme. Au XIXe siècle, on donna le nom de « goguette » à des sociétés chantantes ou à des cabarets, sens qui ont autrefois entraîné une confusion avec « guinguette ». L’expression « en goguette » a résisté au temps, mais elle a évolué. Du sens initial, on est passé à « émoustillé, légèrement ivre », puis à « d’humeur réjouie » et enfin à « en promenade », par mimétisme avec « en balade » et « en vadrouille ».
Lundi matin, 8 heures, vous voilà à la bourre pour aller au travail : vous êtes en retard. Pourtant vous n’êtes pas bourré, ni fatigué d’avoir dansé la bourrée la veille avec des amis auvergnats. Non, c’est le surmenage qui vous gagne : bourreau de travail, vous bourrez votre agenda de réunions et de projets. Si bien qu’épuisé sous votre couette rembourrée, vous n’avez pas entendu le réveil. C’est donc tout ébouriffé et bourru que vous vous rendez au bureau en bourrant sur le chemin.
Aussi étonnant que cela paraisse, le mot bourre est à l’origine de tous ces vocables aux consonances proches. Issu du latin burra, « étoffe grossière », il a désigné les déchets d’une fibre, puis encore aujourd’hui l’amas de poils qu’on détachait des peaux à tanner, et servant notamment à garnir les selles et les harnais. Débourrer un cheval, c’est « donner à un jeune cheval le premier dressage »
De ces emplois originels de bourre est né le verbe bourrer, employé avec plusieurs sens dans le langage des chasseurs. On disait qu’un chien bourrait un lièvre quand il lui arrachait du poil d’un coup de dents en le poursuivant.
De là vient se tirer la bourre qu’on dit lorsqu’on lutte pour la première place. C’est le sens de « courir après sa proie » qui aurait donné le sens familier de « se dépêcher ». D’où les expressions être à la bourre, « avoir à se hâter » et coup de bourre, « temps où l’on doit s’activer pour mener à bien un travail ».
Le pauvre lièvre pourrait bien être l’animal emblématique des gens pressés : qu’il se fasse poursuivre par des chiens de chasse ou qu’il se fasse doubler, comme dans la fable de La Fontaine, par une tortue, il court, il court...
Comme dans le film d’Hitchcock, La mort aux trousses, « être aux trousses de quelqu’un » évoque une poursuite sans répit. À première vue, difficile d’établir un lien entre ces « trousses » et les trousses que nous connaissons : de toilette ou d’écolier. Il s’agit pourtant du même mot. « Trousse » est dérivé de « trousser » qui signifia d’abord « mettre en faisceau, en botte ». On troussait du foin avant de trousser les filles. Avec le sens de rassemblement, le verbe s’est employé pour « relever un vêtement qui pend ». D’où l’emploi érotique. C’est dans ce contexte vestimentaire qu’est née la « trousse » de l’expression : « pièce de la garde-robe masculine du XVIIe siècle, les trousses étaient une culotte bouffante dont on cousait les pans repliés et à laquelle venaient s’attacher les bas ». « Être aux trousses de quelqu’un » se rapproche de « être pendu à ses basques » et « marquer à la culotte » : on touche l’habit du fuyard, par derrière. Si la plupart des emplois de « trousser » sont sortis d’usage, ses dérivés « trousse », « trousseau » et « détrousser » sont bien vivants. Le sens de « replier » est encore présent dans « retrousser ».
Alain Rey écrit : « L’histoire du tabac et de son nom, c’est un peu la descente aux enfers. Au XVIIe s. Molière attaque sa pièce superbe, Dom Juan, par un éloge du tabac considéré alors comme le remède miracle. Trois siècles et demi plus tard, on sait que « fumer tue ». Entre temps on a en fumé du tabac, mais aussi on en a mâché, on en a prisé, en se bourrant le nez de poudre de tabac ».
Un autre tabac pouvait avoir le sens de coup de poing dans la figure, mais il viendrait de tabasser, issu de l’onomatopée tab-, exprimant l’idée de coup, qu’on retrouve dans tarabuster (en ancien français tabuster).
Passer à tabac signifie « assommer, bourrer de coups » et le coup de tabac est un violent coup de vent et de grosse mer. Plus rien à voir avec la nicotine qui se cache dans cette herbe introduite en France par Jean Nicot (1530-1604). Dans les expressions où tabac entraîne l’idée de coups redoublés, l’argot de théâtre, vers 1900, appelle ainsi les applaudissements du public. On a dit d’une pièce à succès et des comédiens qui l’interprètent qu’ils avaient le gros tabac quand les spectateurs tapaient avec ardeur dans leurs mains pour applaudir (cf. claque). De là l’expression plus récente faire un tabac pour obtenir un gros succès, formule où ni le tabac ni la nicotine ne sont en cause, et où l’on n’entend même plus les coups bruyants que sont les applaudissements.
Le mot demeure a tout pour tromper son monde. Demeure est à demeurer ce que chasse est à chasser, bouffe à bouffer : un nom exprimant l’action du verbe demeurer, « rester longtemps en un lieu. »
La demeure n’est pas ici une belle et grande maison, une imposante architecture, ni un logis douillet, mais une inaction devant le danger. Elle est repos, durée, refus de bouger, de changer.
L’expression signifie « il peut être dangereux d’attendre, il faut agir vite, il y a danger à ne rien faire ». Sauve qui peut, péril en la demeure ! On continuera sans doute à employer cette expression sans en comprendre vraiment le sens originel. C’est ainsi, c’est la vie des mots et de la langue !
Il ne s’agit pas de passer la bague au doigt ! D’ailleurs l’anneau du mariage se porte à l’annulaire. Pourtant l’index en question tire bien son nom du doigt ainsi nommé.
Mettre à l’index signifie signaler comme dangereux, condamner, exclure, écarter ce qu’on pense être dangereux. L’index est le doigt qui, pointé, sert à montrer, à indiquer. Au figuré, on a utilisé le mot pour désigner un petit repère, une sorte de marque-page permettant d’organiser un fichier. Le fichier lui-même fut appelé index. Par extension, toute liste alphabétique de mots ou de noms s’appelle ainsi : index d’auteurs, index géographique, etc.
Dans l’expression mettre à l’index, le nom complet est Index librorum prohibitorum, Index des livres interdits. Le Saint-Office établit au XVIe s. ce catalogue à l’usage des fidèles catholiques dans le but de répertorier les ouvrages au contenu dangereux dont la lecture est interdite par l’Église.
Érasme, Descartes, Balzac, Sartre, parmi tant d’autres, furent ainsi « montrés du doigt » et leur œuvre mise à l’index. L’Index fut abrogé en 1966 par Paul VI, après 32 éditions officielles. Que deviennent les personnes mises à l’index ? Pour les individus comme pour les livres, ce pourrait être le meilleur moyen d’assurer involontairement leur célébrité...
Si la « clique » défile en grand uniforme, nul doute que les cymbales « claqueront ». Prendre des « claques », qui sont des gifles, c’est une expérience cuisante. Rien à voir pourtant avec les cliques et les claques de cette expression. Datant du milieu du XIXe siècle, l’expression « prendre ses cliques et ses claques » a surtout une fonction d’onomatopée de type bric-à-brac, clic-clac, ou tic-tac. Pourtant ces deux pluriels, « cliques » et « claques » ont eu des significations très précises. Au Moyen Âge, « cliquer » s’est dit pour « émettre un bruit sec, aigu » et une « clique » désigne un loquet ou une détente. Penser à « déclic » et aujourd’hui au « double clic ».
Quant à « claques », le mot est l’onomatopée qui exprime un bruit sec et bref, mais moins aigu que le « clic ». Depuis le XVIIIe siècle, il désigne diverses variétés de souliers, de sabots, des socques que l’on fixe par-dessus les chaussures pour les protéger de la pluie et de la neige (terme courant en français du Canada où une paire de claques s’achète chez le marchand de chaussures...).
Avec ces deux mots évoquant les jambes et les pieds, l’expression a d’abord signifié « partir rapidement », comme « s’enfuir à toutes jambes », ou, très bizarre, « prendre ses jambes à son cou ». Mais le sens de « cliques » et celui de « claques se sont perdus et l’on a cru qu’ils désignaient ce bazar que l’on garde avec soi. On a dit alors « prendre, ramasser ou emporter ses cliques et ses claques » pour « s’enfuir avec toutes ses affaires ». « Prendre ses cliques et ses claques » appartient à la langue familière. Dans un registre plus élégant, on dira d’un fuyard qu’il « prend la poudre d’escampette ».
Piriolles et cabriettes
Les enfants connaissent en général les facéties de Claude Ponti, auteur d’albums pour les tout-petits, amateur de jeux de mots et de contrepèteries, ici dans Le Doudou méchant…
Vous aurez rectifié de vous-mêmes ce que font les héros de cette histoire en rentrant dans leur village…
Aujourd’hui, parlons chevreaux, cabrioles et … Cabrerie. Le printemps est là : les naissances chez nos amis chevriers de la ferme de Montferré à Tréville se multiplient et les gambades des petits nouveaux sont l’image même de la jeunesse et de la gaieté.
Vous avez reconnu la CHÈVRE dans tous ses états ! On s’en doute dans chevroter ou cabri, un peu moins au premier abord dans chevrons, se cabrer, ou cabriolet…
Pour la forme, deux séries bien nettes : CHEVR- et CABR-
Les premiers de la série (chevreau, chevrette, chevreuil, chevroter ou chevrotines [mais oui… !]) viennent du latin caper (le bouc) ou de sa femelle capra, par une évolution en quelque sorte naturelle, comme canis a donné régulièrement chien ; caballum, cheval ; cathedra, chaire [1].
Dans la deuxième série (cabri, cabriole, Cabrerie, cabrette), c’est sans doute moins à un calque direct du latin cabr- qu’on doit penser, qu’à un emprunt à l’italien ou à l’occitan.
Pour le sens, outre les mots de la famille, les usagers du français n’ont pas manqué d’imagination ! Les attitudes ou les comportements des chèvres au pré expliquent des extensions de sens qui nous éloignent beaucoup de la chèvre de Monsieur Seguin…
D’abord une belle famille (de mots et d’individus sympathiques) pour chèvre, chevreau, chevrette, cabri (qui s’est écrit cabrit ou cabril).
Jeanette et Peter, dans votre domaine de la Cabrerie, qui ne peut tirer son nom que des bêtes qui y vécurent par le passé, attention au retour d’un droit de chevrotage « que le seigneur prend sur chaque habitant en sa terre à cause des chèvres qu’il y nourrit » ! Attention aussi à la chèvrerie de Montferré ! Par les temps qui courent, tout est bon pour alimenter la cassette des puissants…
Pour chevroter, le mot parle de lui-même : « trembloter comme une chèvre qui bêle ». Daudet : « L’aïeule chevrotait un air héroïque… ».
La chevrotine (apparue au XVIIe s.) sert à tuer les chevreuils, à l’origine. Sans commentaire…
Se cabrer est probablement dérivé de l’ancien provençal cabra, venu de capra : « Se dresser sur les pieds de derrière en parlant d’un animal » et, par métaphore, « manifester une attitude d’opposition et de révolte ».
En aviation c’est « dresser un avion verticalement au cours du vol ». Les chèvres sont partout, même dans l’imagination des pilotes !
Puis la ressemblance avec certaines formes visuelles (l’aplomb des pattes, en triangle ?) ou la pratique des sauts imprévisibles expliquent un certain nombre d’emplois dans des domaines techniques.
Dans la constellation du Cocher, l’étoile principale ou Alpha du Cocher est nommée la Chèvre, car les astronomes depuis l’antiquité y voient l’image d’une chèvre, sur le dos du Cocher.
La chèvre est « une machine dont se servent les architectes et les charpentiers pour élever des pierres et des poutres », dans l’Encyclopédie de Diderot, ou « un support destiné à maintenir les pièces de bois que l’on scie ou façonne ».
Si vous voulez voir ce que fait Christian de sa chèvre (nous l’avons entendu employer le mot), venez assister à son travail de découpe du bois sur un instrument qu’on peut aussi appeler chevalet (en changeant d’espèce animale, comme pour le matériel du peintre) ou X, tout simplement.
Chevrette au sens de « musette » a pu désigner un instrument de musique au moyen âge. En Aveyron on joue encore de la cabrette, instrument en peau de chèvre qui ressemble au biniou breton.
Un dictionnaire considère que figurément et familièrement, c’est aussi un nom d’amitié (synonyme : biquette). Il y a des tendres même chez les lexicologues.
Chevron (1) : « pièce de bois utilisée en toiture, par analogie de forme ». L’analogie n’est pas très claire pour nous, me semble-t-il, mais les couvreurs étaient peut-être des paysans reconvertis et la ressemblance avec les animaux de ferme qu’ils avaient connus les aurait frappés (hypothèse audacieuse…).
Chevron (2) : « galon militaire en V renversé » (toujours la forme triangulaire, mais à l’envers), et « figure dans l’habillement » (XXe s. : veste à chevrons).
Chevron (3) : Revoilà le blason ! En héraldique, c’est « une pièce honorable formée de deux bandes plates se rencontrant à angle aigu ».
Un homme chevronné est-il expert en charpente, en tissus, en armoiries ou comme soldat ? On pense qu’il s’agit plutôt d’argot militaire : « qui a des galons d’ancienneté », avec extension vers tous les savoir-faire.
Terme familier pour tous, cabriole signifie « saut agile, fait en folâtrant » (certaines définitions de dictionnaires sont plus aimables que d’autres), et renvoie plus précisément à des techniques de manège et de chorégraphie.
« Faire la cabriole » a eu le sens imagé de « mourir, se ruiner », comme « faire la culbute » (« faire faillite, être ruiné »).
Cabriolet (1755) : voiture qui « cabriolait » sans doute à ses débuts lorsqu’il s’agissait d’une petite voiture à cheval. Cette origine n’est plus sentie, dieu merci ! quand il s’agit d’une automobile décapotable (depuis 1928).
Pour le siège du même nom, « petit fauteuil à dossier incurvé », quelle ressemblance le créateur de l’objet a-t-il bien pu percevoir avec notre animal ?
Quelques expressions :
« prendre la chèvre », un peu ancien (« se fâcher, se mettre en colère ») ;
plus courant aujourd’hui, « devenir chèvre » (« Ces enfants vont finir par me rendre chèvre… »).
« Ménager la chèvre et le chou » signifie que l'on ne peut satisfaire tout le monde, ni éviter tous les inconvénients. (Ne serait-ce pas « vouloir à la fois le beurre et l’argent du beurre » ?)
On disait aussi qu’un homme aimerait « une chèvre coiffée » lorsqu’il n’est pas dégoûté en amour, que toutes les femmes lui sont bonnes (proverbe impensable de nos jours).
Pour conclure, un cri d’indignation !
Pourquoi le nom de cet animal si déluré, si vif, si affectueux, a-t-il été adopté en argot avec un sens aussi péjoratif ? Dans le film du même nom, La Chèvre, le mot signifie en effet qu’être une chèvre, c’est « être nul en tout ».
Il paraît qu’entre footballeurs, c’est une amabilité qu’on s’échange à l’occasion.
Quelle injustice !
[1] C’est passé en cours de route par un tch, puis cela s’est simplifié en ch, son-consonne qui n’existait pas en latin.
L’Association Patrimoine et Culture a redoré le blason de La Pomarède…
Au sens propre comme au figuré !
Mais qu’est-ce au juste, un BLASON ?
Une étymologie contestée rapprocherait le mot de l’anglais (apparenté à to blaze, « souffler » ?) ou de l’allemand blas (« torche enflammée » ?), avec une évolution du sens vers « gloire », « éclat ». On a pensé aussi à un mot latin médiéval, blazonare, « graver par le procédé du feu », mais ce dernier apparaît après le sens de « bouclier » qui existe depuis le XIIIe siècle.
Les hypothèses les plus hasardeuses ont été émises : la ville de Blois (Blesum en latin) aurait été réputée pour la fabrication de ses écus. Mais cette réputation n’est pas assez établie pour confirmer cette hypothèse.
Dès le XIVe siècle, blason a signifié « bouclier ». Puis il a désigné la partie du bouclier où figurent les armoiries, puis ces armoiries elles-mêmes, d’où les armoiries en général. La partie prend progressivement la place du tout. Les savants disent « par métonymie »[1].
Une bonne définition du XVIIe siècle : « Blason se dit aussi de la science particulière qui apprend à déchiffrer les Armes ou Armoiries des Maisons nobles, et à en nommer toutes les parties dans leurs termes propres et particuliers. Le blason représente en images la naissance, la noblesse, les alliances, les emplois et les belles actions des hommes illustres » (Furetière, 1690).
BLASONNER :
Représenter ou décrire suivant les règles de l’art héraldique.
Classique et littéraire : « vanter les mérites de », ou, ironiquement : « faire la critique de », « brocarder ».
BLASONNEUR : « railleur », « médisant » (sorti d’usage).
Aux XVe et XVIe siècles, le sens d’« éloge » ou de « blâme », expliquerait l’apparition d’un genre poétique, le Blason, faisant l’éloge ou la critique du corps féminin et de ses parties.
Lisons Marot, l’un des créateurs du genre :
Tétin de satin blanc tout neuf,
Tétin qui fais honte à la rose,
Tétin plus beau que nulle chose !
Tétin dur, non pas tétin, voyre,
Mais petite boule d’ivoyre,
Au millieu duquel est assise
Une fraize, ou une cerise…
Ecoutons aussi Georges Brassens, le Blason, qui, en forme de devinette, célèbre un lieu du corps féminin dont il ne cite jamais le nom, mais personne ne s’y trompera…
Ayant avecques lui toujours fait bon ménage,
J'eusse aimé célébrer, sans être inconvenant,
Tendre corps féminin, ton plus bel apanage,
Que tous ceux qui l'ont vu disent hallucinant.
Ç'eût été mon ultime chant, mon chant du cygne,
Mon dernier billet doux, mon message d'adieu.
Or, malheureusement, les mots qui le désignent
Le disputent à l'exécrable, à l'odieux.
C'est la grande pitié de la langue française,
C'est son talon d'Achille et c'est son déshonneur,
De n'offrir que des mots entachés de bassesse
A cet incomparable instrument de bonheur.
Voilà beaucoup de coquineries pour aujourd’hui !
Mais nous n’avons pas seulement re-doré les blasons de La Pomarède. Comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, nous avons aussi ravivé d’autres couleurs : gueule, sinople, sable… D’où viennent-ils, à leur tour, ces mots étranges ?
S’ils vous intriguent, continuez à lire nos rubriques "Autour des mots" !
La suite au prochain numéro
[1] On désigne quelque chose par un autre élément qui a une relation logique ou de proximité avec cette chose. Vivre de sa plume, un bronze de Rodin. A la boulangère : « Vous êtes ouverte, dimanche ? » etc…
Il y a nénette et nénette. Si on peut se la casser, la nénette, à comprendre pourquoi sa nénette est partie, les deux nénettes, pour autant, ne doivent pas être confondues.
La nénette qui « se casse » et qui vous quitte, c’est une jeune femme avec qui vous entreteniez une relation amoureuse. Le mot nénette dans ce cas est parfois considéré comme une variante affectueuse de nana. Certains pensent que c’est un dérivé de néné, « sein ». D’autres y voient un diminutif de prénoms féminins (Antoinette, Jeannette...) ou de pon(n)ette, mot en vogue à la Belle Époque pour désigner une jeune fille de mœurs légères.
Quant à la nénette de l’expression, celle que l’on « se casse », c’est la tête. Il s’agit probablement de l’abréviation de comprenette, mot familier dérivé de comprendre. En usage depuis la fin du XIXe siècle, il désigne la faculté de jugement, la capacité et la rapidité de la compréhension. Quant à nénette, la tête est bien considérée comme le siège de l’intelligence.
Se casser la nénette renvoie donc à la notion d’effort intellectuel, pour trouver une idée, une solution, comme dans « se triturer les méninges ». La formule rejoint ainsi la longue liste des expressions familières où l’on « se casse » quelque chose en faisant un effort : se casser la tête, mais aussi, sans aucune logique, le cul, le pot, le train... S’échiner, « se casser l’échine », se décarcasser, « sortir de sa carcasse ». Il est moins douloureux de ne pas se fouler la rate !
« Un joyeux compagnon », « un homme jovial ». Lorsque l’ambiance est à la fête ou qu’on évoque de bons et gais camarades, on peut célébrer les « joyeux drilles ». Pourquoi cette expression ne concerne-t-elle que les hommes ? Parce que le terme drille renvoie à une profession masculine.
A la fin du XVIIe siècle, un drille est un fantassin, un soldat à pied et il s’agit d’un « terme de raillerie » (Dict. de l’Académie) exprimant le mépris pour la piétaille. Drille désignait en ancien français un chiffon, une guenille. Le mot venait d’un verbe allemand signifiant « déchirer ». Autre hypothèse : origine néerlandaise pour driller, « courir çà et là ». Les drilles seraient soit des soldats allemands vêtus de guenilles, soit des mercenaires hollandais errants... Ces vagabonds débandés pillaient et volaient sans vergogne et on les imagine ripaillant de leur butin. C’est à cette figure haute en couleur que sont comparés les joyeux drilles.
Du XVIIIe siècle jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, on parlait aussi de pauvre drille, équivalent militaire de « pauvre diable ». De nos jours, un drille est forcément joyeux.
Joyeux drille ou boute-en-train, on peut toujours compter sur eux pour mettre l’ambiance à la fête. Pour évoquer des militaires plus récents : faire le zouave...